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LES LITIGES FONCIERS AU TOGO, UNE VERITABLE POUDRIERE !

Les conflits qui cristallisent la vie quotidienne des populations dans les pays du Sud, et plus particulièrement en Afrique noir (le Sénégal, Mauritanie,  Cameroun, Ghana, Kenya, Somalie, Soudan, Côte d’Ivoire, Rwanda, Burundi, Zimbabwe, Afrique du Sud …) possèdent une forte dimension agraire et foncière, qui est souvent sous-estimée. Le régime foncier coutumier qu’on trouve encore dans les pays africains coexiste avec le droit moderne lui-même dérivant du droit colonial. Ce régime traditionnel donne le droit au premier occupant.

 En effet le contrôle de la terre et de l’accès aux ressources naturelles suscitent, au Togo, des formes de concurrence, de tensions exacerbant et des violences inouïes, impliquant plusieurs types d’acteurs : les propriétaires spécialistes des doubles ventes, les géomètres ambigus, les huissiers, notaires, et juges véreux, les agents perfides ou déloyaux du cadastre.

Ces conflits peuvent concerner des individus, des familles, ou des communautés différentes. Dans ses rapports, la Commission Vérité - Justice et Réconciliation (CVJR)  a relevé et confirmé  que le foncier constitue la première source de rivalités entre les togolais. Face à cette situation de querelles tribales et familiales qui coûte et continue par coûter des vies humaines, il urge de prendre les mesures idoines dans le sens de l’apaisement.

I- Types et facteurs des litiges fonciers au Togo

On distingue plusieurs types de conflits fonciers dont des conflits familiaux et villageois, entre autochtones et allochtones (étrangers), entre agriculteurs et éleveurs (les transhumances des peules au nord Togo par exemple), entre l'Etat et les riverains des réserves et des parcs nationaux (cas de Mango dans les années 1990 et tout récemment en 2015), entre l’Etat et les indigènes forestiers, entre les indigènes forestiers et les exploitants forestiers, entre les ruraux et les élites urbaines.
En effet plusieurs facteurs sont sources de conflits qui tendent  à gagner tous les coins et recoins du Togo :
_ Les doubles ventes (un dossier que je suis avec attention à Noèpé depuis  Novembre 2014)
_ Expropriation par l’Etat, dans la majorité des cas, sans dédommagement (Lomé II- Port de Lomé – l’aéroport de Lomé) pire encore sans aucune mesure d’accompagnement social et de développement des milieux occupés (Tabligbo avec WACEM- la réserve de Cacavéli à Agoè-nyivé)
_ Occupations anarchiques des réserves administratives par des citoyens
_ Les conflits se focalisant autour du foncier peuvent également avoir une dimension historique, notamment en cas de différends entre groupes socio-ethniques.
_ Ces derniers temps la crise foncière découle d’appropriation et de concentration des terres à grande échelle appelé « phénomène de bradage (d’accaparement) des terres et leur achat par des multinationales étrangères »
_ Un autre facteur de conflit (très écœurant et récurrent) vient de l’inexistence ou de l’insuffisance d’un cadre légal formel et effectif, qui clarifie et sécurise les droits existants. Selon cette thèse, un tel cadre légal nécessiterait la mise en œuvre d’une législation foncière fondée sur l’enregistrement de titres de propriété privés. Seul un tel cadre légal correctement formalisé serait en mesure de pacifier les relations sociales autour de la terre en substituant à la violence, la paix du marché et à la politisation de la question foncière, la légitimité de la loi. Pour rappel, dans une interview accordée à nos confrères de « Le Reflet du Palais » en janvier 2014, la présidente de la Chambre Nationale des Notaires du Togo, Me Molgah Kadjaka-Abougnima, indiquait qu’il « devient urgent que le législateur donne les outils juridiques au juge pour sécuriser le foncier afin de protéger les acquéreurs de bonne foi ».

De ce point de vue, il convient de rappeler que le code foncier togolais est actuellement vieux de 110 ans et donc obsolète (loi du 24 Juillet 1906 à l’époque allemande), renforcé par les décrets français du 13 Décembre 1922 et du 15 Août 1934 portant organisation de l’immatriculation des terres au registre foncier et au livret foncier.
Force est de constater qu’après les indépendances en 1960, ces textes, malgré leur vétusté tangible, continuaient à régir très imparfaitement les relations foncières au Togo en particulier dans les centres urbains provocant un chapelet de conflits sans tête ni queue. DIWONOU avait raison d’hurler déjà en 1987 : « Acquérir un terrain à bâtir à Lomé équivaut à acquérir un procès »

C’est dans cet imbroglio total qu’intervient la réforme de 1974 instituée par l’ordonnance n°12 du 6 Février 1974 qui, il faut le souligner, n’a pas procédé à une nationalisation en bloc des terres comme ce fut le cas partout ailleurs en Afrique (Article 2 : « L’Etat garantit le droit de propriété aux individus et aux collectivités possédant un titre foncier délivré conformément à la loi. L’Etat garantit également le droit de propriété à toute personne ou collectivité pouvant se prévaloir d’un droit coutumier sur les terres exploitées »).

Cette réforme n’a pas supprimé l’ambiguïté relevée dans les précédents textes. Elle se retrouve aujourd’hui dans l’impasse puisqu’elle n’a pas contribué d’une manière efficiente à la redéfinition des droits fonciers, ce qui porte un coup périlleux au développement du monde économique et rural. C’est elle qui contribue de nos jours à l’accentuation des litiges fonciers dans notre pays en occasionnant des situations d’insécurité foncière juridique et sociologique.

Autrefois garant d’un droit absolu de propriété, le titre foncier est devenu de nos jours un simple papier administratif et pire encore objet de contestation tout azimut.

 II.    Manifestation des conflits fonciers au Togo

Il faut dire que les conflits fonciers se tiennent régulièrement sur plusieurs fronts : Les réformes législatives mis en place au Togo après les indépendances, ont donné plus d’avantages aux riches et aux élites nationales comparativement au reste de la population.
On trouve alors une dualité «  droit coutumier/droit moderne » ; les communautés résistant en fait à un certain arbitraire de l’Etat en se référant au droit coutumier qui se base sur les droits ancestraux des membres des communautés. Ils n’hésitent pas cependant à recourir à la loi moderne quand ils estiment selon les situations qu’elle défend mieux leurs intérêts.
  1. L’aspect contentieux ou judiciaire
La déclaration de DIWONOU en 1987 est toujours d’actualité : « Acquérir un terrain à bâtir à Lomé équivaut à acquérir un procès »
Plus de 80%  des litiges pendants devant tribunal de Lomé sont d’ordre foncier.
_ Dans le temps, il suffisait d’établir un titre foncier sur son immeuble acquis par achat ou héritage pour éviter tout litige ou conflit foncier.

Mais très vite, ce titre ne garantit plus le droit de propriété.
Soit le propriétaire muni de son titre peut se voir du jour au lendemain être dépossédé de son bien (parcelle de terrain) ou se faire expulser par un huissier sur ordonnance d’un juge parce que entre-temps un individu(ou une collectivité) s’est rappelé que cette parcelle appartenait à ses parents ou aïeux ;

Exemple : Expulsion de tout un quartier à Avédji (banlieue de Lomé) ce 26 Janvier 2016 ; les terrains  dans le canton de Légbassito sont en majorité litigieux, dans le canton de Sanguéra, presque  tous les immeubles portent les inscriptions « CESSER LES TRAVAUX - TERRAIN LITIGIEUX-VOIR HUISSIER……… », Soit qu’il y a  un nouvel acquéreur qui propose une somme faramineuse pour s’accaparer la parcelle (phénomène de double vente), d’où en cas de contentieux, les deux voir même plusieurs « propriétaires » se retrouvent devant le juge avec 2 ou plusieurs  titres fonciers  sur un même terrain; Dans la majorité des cas le plus nanti gagne le procès puisque le juge aura sa part du gâteau (de l’argent ou des parcelles de terre).

Ainsi il est évident que « l’argent » soit  le facteur déterminant qui oriente certains juges dans le prononcé de leurs délibérés, « la raison du plus offrant est toujours la meilleure ». Nous voici devant des situations de déni de justice par des juges corrompus et véreux qui sacrifient les souffrances de plusieurs années d’un togolais ordinaire sur l’autel de la cupidité.

Il y a par contre des collectivités qui instaurent aujourd’hui un système d’ « escroquerie » qui ne dit pas son nom ; Il s’agit en fait des héritiers qui se lèvent et demandent du jour au lendemain aux acquéreurs de reconsidérer la vente qui a été consentie entre eux et leurs grands-parents ou aïeux. Ainsi selon eux le montant consenti n’était pas juste au moment de la vente (lésion).

     2.   Les affrontements physiques

Les conflits fonciers au Togo se manifestent par des empoignades, des bras de fer très violents (le phénomène des gros bras est passé par là) aboutissant à des cas de blessures graves et pire encore à des cas de mort : utilisation des armes blanches (couteaux, coupecoupes, bouteilles, haches, pioches……)
Litige foncier à Sokodé: trois personnes tuées, plusieurs blessés et des dégâts matériels importants en Mai 2014. On trouve des cas similaires à Lomé et dans d’autres localités où on dénombre des morts en cascade.

Il y a des situations où les protagonistes font appel à la magie noire avec des prononcées d’incantations réciproques (attaques spirituelles), en cette matière j’étais témoin oculaire d’un cas à Zossimé, ou carrément on enterre des fétiches sur les terrains qui font objet de litige. Si d’ores et déjà les gens commencent à s’entretuer, on est en droit de se demander quel sera l’issu de ce problème.

Les problèmes fonciers au Togo sont une véritable poudrière qui n’a pas fini de livrer ses dernières déflagrations, bref une bombe à retardement qui risque d’embraser tout le pays et de l’entrainer  dans un chaos total et déconcertant. Les mécontentements enregistrés çà et là suite aux expulsions, aux expropriations sans dédommagement, les verdicts des juges corrompus privant les acquéreurs de bonne foi de leur droit, et de plus la pauvreté et misère auquel sont soumis les populations ou les personnes victimes entrainent une accentuation des crises foncières qui ne connaissent plus de limites.

 Le système judiciaire en principe chargé de réguler ces conflits se révèle  non seulement incapable  mais aussi partie prenante (protagoniste)  et participe activement à la spoliation  de sorte à ce que le bout du tunnel soit encore loin dans cette affaire.
Ainsi la privatisation de la terre s’est donc avérée ne pas être une solution miracle pour la sécurisation de la terre au Togo. Malgré son introduction depuis plus d'un siècle, elle reste toujours marginale.

Les résultats actuels de la recherche sur la question foncière permettent de conclure que le titrage et l'enregistrement de la propriété ne constituent pas à eux seuls la solution pour le règlement des conflits fonciers. Au Togo les expériences montrent qu'ils induisent une dynamique qui engendre de nouveaux problèmes sans résoudre totalement les anciens aussi bien pour l'Etat que pour tout autre citoyen lambda.

Le foncier constitue un enjeu économique, social et politique majeur jouant ainsi un rôle central dans la définition des politiques de développement. Les germes de crises qu’il porte en son sein ont atteint le seuil du paroxysme et  portent entorse  au développement de notre pays tout en instaurant un climat chaotique entre les populations.

Les togolais doivent comprendre qu’il ne sert à rien d’acheter un terrain et après en être dépossédé, pour cause d’ignorance ou de négligence de leur part de se remettre aux spécialistes pour leur montrer les procédures convenables avant tout achat.
Le gouvernement fait beaucoup d’effort pour assainir le domaine immobilier au Togo et la population et les acteurs concernés doivent en faire autant pour désamorcer les crises
Le nouveau code foncier tant espéré tarde à faire son apparition.

Malgré tout il va falloir prendre des mesures drastiques  pour décourager les géomètres, les huissiers, les notaires ou les juges qui se livrent à ces pratiques de mafia, et cela  contribuera à freiner cette hémorragie et permettre de préserver la vie de nos concitoyens, et que chacun puisse disposer et jouir de sa propriété en toute quiétude sans crainte de se voir un jour spolier.

Cependant tout cela ne pourra se consolider sans la généralisation de l'Etat de droitet de la bonne gouvernance passant par non seulement une sécurisation juridique mais aussi judiciaire.

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